La leçon de créativité: comment la perdre en (très) bas âge?!

20 novembre 2017

Je me rappellerai toujours du jour de la première dictée que j’ai faite à ma puce de cinq ans. « Juju, je vais te dire les mots un à un et toi tu vas les écrire. Ça te va ma grande ? » Juliette est installée à la table de la cuisine et moi je popote, le dos tourné. Je ne donne aucune autre directive et j’annonce les mots un à un.

Premier mot:  « école »

Deuxième mot: « maison », « toi », « elle », « dans », « enfant », « rue », « il », « va »  

Toutefois, je trouve qu’elle prend beaucoup de temps à écrire chaque mot, mais tout compte fait, rien ne presse. À cet instant précis, trop affairée aux tâches quotidiennes à répéter machinalement, je ne saisis pas l’importance de ce moment unique. Elle est concentrée et appliquée. Voyez-vous la petite fille qui écrit ses premiers mots, à la maison, pour sa maman ?  

Dans les faits, pour Juliette, nous jouons à la dictée.  

Dernier mot :  « ami » – « Voilà, j’ai fini maman. »

À ce moment, je m’approche et elle me montre fièrement sa dictée. Je constate qu’il s’agit de la plus belle dictée que je n’ai jamais vu de ma vie. Tellement que j’en ai les larmes aux yeux.   

C’est le choc dans ma tête, car je m’attendais à une liste numérotée, structurée, localisée à gauche du haut de la page. Une ligne, un mot. Pour n’en corriger que les fautes…  Mais c’est tout le contraire que j’ai sous les yeux. Les dix mots occupent toute la feuille de telle sorte que l’espace est complètement utilisé; tapissé de toute part. Chaque mot a sa couleur et est entouré d’une forme différente. Je conclue selon la taille de chacune des formes, qu’elles sont proportionnelles à l’importance qu’elle leurs accorde.  

C’est donc une vraie belle dictée-dessin. Tellement que j’en oublie de corriger les fautes! Ce n’est pas moi qui fait la leçon, je viens d’en recevoir toute une!

Imaginez comment les personnalités pourraient s’extérioriser si chaque enfant proposait sa dictée à sa manière. Or pour fonctionner en groupe, on s’impose des règles et on se donne des cadres. On apprend les mots par coeur en oubliant que le mot « ami », ça s’écrit en rose et ça s’entoure d’une forme de coeur pour une petite fille de 5 ans, et le mot « il », de bleu avec un rond. En plus c’est évident, que notre « maison », elle est verte et de forme rectangulaire…

Malheureusement, que faisons-nous à la créativité de nos enfants ou de l’enfant en nous ? Rien de bon. J’en ai la profonde conviction et les études scientifiques le démontrent. J’ai également vu celle de ma grande fille s’effriter sous mes yeux au fil des années. Je vais vous faire une confidence. J’ai demandé à Juju de refaire cette dictée à l’aube de ses 15 ans. Mais, savez-vous quelle fut sa première réponse ? 

« Maman, je suis nulle en dictée. »  

« Ju, on parle d’une dictée de 10 mots! »  

« Je suis nulle quand même », m’a-t-elle répondu. 

À l’aube de faire ses choix de carrière, elle ne sait plus qu’elle a cette force en elle. Pourtant, il y a tellement de métiers qui pourraient profiter d’une jeune femme qui a su un jour faire la plus belle des dictées-dessins! C’est pourtant mon devoir d’y voir. Que faites-vous pour entretenir votre créativité, celle de vos enfants et celle de vos employés?

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La créativité étudiée par les scientifiques

Les études scientifiques démontrent que la créativité se perd avec l’âge. Selon le test de Land ayant distribué un test de créativité à différents groupes d’âge, les enfants performaient à 98 % et les adultes, à 2 %.  Je vous invite à poursuivre votre réflexion par la lecture de l’article de Jérôme Barthélémy.

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La créativité se perd avec l’âge. Pourquoi ? Comment peut-on y remédier ?

Jérome Barthélémy, professeur à l’ESSEC

À la fin des années 1960, la NASA commande un test à George Land. Ce test doit permettre de mesurer la créativité des scientifiques et des ingénieurs qui répondent aux offres d’emploi de l’agence spatiale américaine. Comme le test est très simple, Land le fait passer à 1.600 enfants âgés de cinq ans. Le résultat : 98% d’entre eux peuvent être considérés comme très créatifs.

Cinq ans plus tard, Land réinterroge les mêmes 1.600 enfants. Les résultats sont beaucoup moins impressionnants : seuls 30 % des enfants (maintenant âgés dix ans …) peuvent encore être considérés comme très créatifs. Land attend cinq ans et réinterroge une dernière fois les 1.600 enfants. Les résultats sont très décevants : seuls 12% des enfants (maintenant âgés de 15 ans …) peuvent toujours être considérés comme très créatifs.

Au fil du temps, Land fait passer son test à près de 300.000 adultes. Les résultats sont catastrophiques : seuls 2% d’entre eux peuvent être considérés comme très créatifs. Land a alors abouti à une conclusion très simple : le manque de créativité n’est pas inné. Il s’acquiert ! En valorisant plus le conformisme que l’originalité, l’école sape peut-être la créativité des enfants…

Ces résultats sont plutôt déprimants et une question vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on s’intéresse au monde des affaires. Les entreprises peuvent-elles rendre leurs employés plus créatifs ou est-ce peine perdue ? Pour le savoir, trois chercheurs ont synthétisé les résultats de 70 études publiées dans les meilleures revues de recherche. Les résultats de leur méta-analyse montrent que les formations à la créativité sont plutôt efficaces … une bonne nouvelle pour les entreprises qui les financent. Surtout, ils révèlent que certaines formations sont plus efficaces que d’autres.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas des formations artistiques (théâtre, peinture …). Les formations qui améliorent le plus la créativité en entreprise sont celles qui portent sur des problématiques d’entreprise. Même si elles sont moins appréciées par les participants, elles donnent de bien meilleurs résultats !

Sources :

Land, G., & Jarman, B. (1993). Breakpoint and beyond: Mastering the future–today. HarperCollins.
Scott, G., Leritz, L., & Mumford, M. (2004). « The effectiveness of creativity training: A quantitative review ». Creativity Research Journal, 16, 361-388.

Pour aller plus loin :

Libérer la compétitivité (blog)
Libérer la compétitivité (prix FNEGE – EFMD du meilleur livre de management 2017)