Entrepreneuriat | Naviguer entre la culpabilité et la peur

14 mars 2018

Ce texte est une rediffusion. Il est intemporel, je l’aime vraiment, donc je vous le repartage!

En 2005, j’ai eu l’occasion de retourner dans ma région pour y présenter une conférence sur la relève entrepreneuriale et la transmission d’entreprise. Préoccupée par l’éminence d’une retraite bien méritée, j’ai d’ailleurs remarqué la présence de quelques entrepreneurs du coin.  Nos entrepreneurs!  Après le marathon d’une vie en affaires, on voudrait les voir passer le flambeau, aux enfants si possible, avec un succès éclatant et surtout, dans l’harmonie et la joie. Décidément, je trouve que nous sommes exigeants face aux entrepreneurs. Gare à ceux qui vendront aux étrangers ou pire, qui liquideront les actifs et profiteront d’une retraite au soleil. Cœur sensible, s’abstenir!

Le mien a été sérieusement bouleversé lorsqu’à la fin de ma conférence, un beau monsieur est venu me dire que la conférence lui avait fait du bien, mais qu’elle avait ressassé chez lui de vives émotions passées. Ayant opéré un petit commerce pendant 35 ans, il m’a avoué candidement avoir entretenu tout au long de ce parcours du combattant, un sentiment de culpabilité. J’avoue que ce n’était pas l’objet de ma conférence et que cela m’a surpris.

Vous vous jugez coupable de quoi au juste?

Coupable d’avoir battu la concurrence, cela fait partie du jeu, non? D’avoir réussi à vous adapter aux changements de mode, de réglementation ou de n’avoir jamais compris le système fiscal? Coupable d’avoir survécu à l’arrivée des grandes surfaces et au bas prix de tous les jours? Ou coupable d’avoir fait vivre convenablement votre famille et celles de vos employés? Savez-vous mon beau monsieur que la durée de vie moyenne d’une entreprise est de 11 ans? Vous sentez-vous coupable d’avoir eu du succès en affaires?

C’est à ce moment qu’il m’avoua la source de sa culpabilité. À l’époque, il aurait pu travailler pour la grande usine, aux gros salaires, avec la stabilité et des horaires plus allégés. Mais il a su très tôt que ce n’était pas pour lui. Il voulait être son propre patron. En conséquence, il n’a pas permis à sa famille de vivre selon le modèle dominant et valorisé dans cette région. À chaque contrat, il devait satisfaire ses clients exigeants pour ne pas perdre « son nom », si facile à perdre dans un milieu tissé serré. Dans les conjonctures économiques difficiles, sa femme et lui étaient pris de vertige et avaient peur de perdre « la face » et de devoir supporter l’odieux d’une faillite, d’un échec. Et qui sait, de devoir déménager? Pourtant, rien de tout cela n’est arrivé.

Il a passé sa vie « à travailler à son compte ». Au compte de personne d’autre.

Quel courage et quelle persévérance! Pour moi, ce beau monsieur est un être d’exception. Combien de fois lui a-t-on mentionné dans son parcours en entrepreneuriat? Quel témoignage m’aurait-il fait s’il avait grandi en Beauce, le bastion des entrepreneurs? S’il a perduré pendant 35 ans en affaires dans un environnement difficile, imaginons une minute les défis qu’il aurait pu relever avec l’appui et la reconnaissance de ses pairs dès ses premiers pas en affaires?

Je peux vous témoigner que cela aurait changé des choses dans ma propre vie. Le beau monsieur en question, c’est mon papa. Ce jour là a marqué la date de notre première conversation d’affaires.  J’ai du monté sur le stage, faire ma conférence devant 100 personnes pour l’atteindre et l’amener à s’ouvrir, pour qu’il me témoigne toute cette culpabilité. Initialement, il ne pensait être à sa place à ce diner d’affaires.

Je referais des conférences tous les jours pour lui permettre d’être fier et d’apprécier sa vie d’entrepreneurs.  C’est mon why, vous comprenez?

Mon père n’est pas seul à avoir choisi la voie de l’entrepreneuriat. Il y a 240 000 établissements employeurs au Québec  (2015) et 65,8 % d’entre eux embauchent de 1 à 4 employés. Beaucoup d’entrepreneurs partagent sa solitude et ses craintes, son courage et sa persévérance. Espérons que dans toutes les régions du Québec, nos entrepreneurs pourront grandir et s’épanouir dans un milieu motivant et énergisant.

Bonne retraite du milieu des affaires Papa. Je suis tellement fière de toi et je t’aime. XX

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À propos de Rouge Canari

Rouge Canari, vise le développement de l’entrepreneuriat sous toutes ses formes, par la création et le déploiement d’études, d’analyses et de stratégies visant les entrepreneurs. L’entreprise compte parmi ses clients/partenaires connus le MESI, la Fondation des familles en affaires, Femmessor, l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), la Fondation de l’entrepreneurship, des groupes privés et les grandes corporations dans les domaines des services professionnels et bancaires. Rouge Canari bénéficie de collaborateurs/collaboratrices de longue date d’expertises variées. C’est une équipe passionnée et expérimentée qui prend vos projets d’entrepreneuriat en main.