Qui a dit que l’intrapreneuriat se faisait sans éclats?

25 mars 2018

Aujourd’hui, j’ai envie de vous raconter une autre histoire vécue.  

Imaginez la scène. Vous avez 37 ans et vous dirigez un groupe qui a pour mission de construire une institution dont la vision rassembleuse est de devenir le « Princeton de l’entrepreneuriat ». Rien de moins.

Votre comité pédagogique est composé de sommités du domaine de la pédagogie, des affaires. Les membres proviennent principalement du milieu universitaire ou corporatif, sont très majoritairement des hommes, dont la moyenne d’âge est de 60 ans.  Le plus influent membre de ce comité est aussi membre du conseil d’administration de cette nouvelle entreprise, tout comme vous.

Vous êtes légitime dans vos fonctions. Vos supérieurs ont confiance en vous, en vos compétences et vos idées. Votre coéquipière aussi.  Qui plus est, vous avez bossé très fort pour arriver aux conclusions que vous exposez. Vous avez fait plus de 70 entrevues, plusieurs focus groups, vous avez écouté, synthétisé, schématisé l’information.  Vous travaillez avec une importante firme de marketing qui comprend le besoin de votre clientèle cible et son profil de personnalité.

Et le débat s’amorce autour d’une innovation que nous pouvons qualifier de « radicale« .

L’idée est simple, mais elle confronte tout un univers pédagogique, en l’occurrence le modèle universitaire!  Elle concerne la manière de rejoindre les entrepreneurs pour les attirer à l’école.  

Selon nos recherches,  le cadre dans lequel on a toujours formé les entrepreneurs; l’environnement scolaire ou universitaire, le vocabulaire pédagogique, les conditions préalables, les examens, la théorie, les devoirs, etc. n’intéressent pas nos clients ciblés. D’ailleurs, ils sont pour la plupart des survivants de l’école ou pire encore, ce sont des décrocheurs!

En écoutant bien, en traduisant leurs pensées, nous concluons qu’ils aiment apprendre mais nous identifions que tout le vocabulaire « pédagogique » les rebute.   Il faut utiliser un autre registre pour faire tomber les barrières qui les séparent des bancs d’école. Il faut se distinguer du cadre universitaire aussi.  Pour marquer notre différenciation.

La commercialisation se fera en utilisant le langage du monde du sport, celui des athlètes, des entraîneurs, des entraînements, de la pratique et des champions olympiques. C’est une idée révolutionnaire et nous sommes fières de la présenter à notre comité de sommités. Il n’y aura d’ailleurs pas de professeurs typiques dans notre nouveau modèle; les entrepreneurs viendront enseigner aux entrepreneurs. Ouf.

Le débat commence. « On crée une école, il faut l’assumer. »  Certes.

« Mais nos futurs clients n’aiment pas ce registre et ce cadre, ils veulent autre chose. Ils souhaitent se développer et apprendre, mais sans professeur d’université ou enseignant qui leurs dictent quoi faire sans avoir d’expériences concrètes, sans cadres théoriques qui n’amènent pas d’eau au moulin, sans cours magistraux et, surtout, sans examens! » On s’entend que le mot radical est approprié pour qualifier l’innovation.

Le ton monte. C’est encore poli, mais je commence à avoir chaud. Mon interlocuteur est reconnu nationalement comme l’expert du domaine, mais il n’est pas à la même place que moi. Il n’est pas à la même place que nous tous. 

Les échanges se poursuivent.  Je sors les arguments documentés, dont 150 heures d’entrevues complétées avec les plus grands chefs d’entreprises du Canada.  Je suis totalement habitée par leurs conseils, leurs témoignages, leurs histoires.  Ils nous ont guidés de toutes sortes de façons. Mes arguments sont profondément ancrés dans mon intuition d’entrepreneur, ils sont confirmés par des faits.  Plus encore, c’est devenu ma croyance profonde.

Je tente de convaincre en utilisant l’argument de vente le plus évident :   » Nous avons fait nos devoirs et ce n’est absolument pas ce que nos clients veulent entendre. » Mais c’est devenu un combat de boxe entre deux personnes aux convictions opposées, tout simplement.

C’est à ce moment que je reçois en retour, l’ultime attaque.  

Droit dans les yeux, on me lance: « On ne va pas se prostituer pour faire plaisir à nos clients. »

« Oui. »dis-je.

 » Dans ce contexte, je ne pourrai pas continuer sur ce comité. »

« Parfait.« dis-je.


J’ai quand même accompagné mon interlocuteur jusqu’à la porte, mais dès qu’elle s’est refermée, je me suis mise à trembler et j’ai fondu en larmes!   Je venais de vivre l’un des plus virulents combats de ma carrière. Puis, à court d’arguments, on m’a attaqué «  en dessous de la ceinture« . On a attaqué ma féminité pour discréditer mes arguments!

Je vais toujours me rappeler ce moment. D’abord parce que je suis pas une braillarde.  J’ai pleuré à chaudes larmes à mon accouchement puis, ce jour là.  Et je me demande encore aujourd’hui quels arguments mon interlocuteur aurait utilisés si je m’étais appelée Johnny au lieu de Nathaly.  Est-ce qu’il y aurait eu une argumentation?

Je tente aujourd’hui de comprendre ce qui s’est réellement déroulé. Assurément, nous n’étions pas dans le même registre personnel: homme/femme, jeune/retraité, chercheur/intrapreneur.  David contre Goliath.

À l’époque, j’ai conclu que c’était une question de relation homme/femme, de par la nature des arguments utilisés. Aujourd’hui, avec le recul, je nuance:  plus jeune aux habiletés politiques variables, je n’ai pas eu la délicatesse de comprendre les préoccupations de ce vieux routier.  Droit devant, j’ai confronté tout l’univers de mon interlocuteur. C’était ambitieux, même un peu baveux.  De son côté, il avait devant lui une jeune femme qui dirigeait les discussions et les décisions.  Il n’a pas attaqué ma crédibilité, ni même mes arguments, mais a directement ciblé ma féminité!  

Et pour tout dire, je suis convaincue que cette féminité a été un atout dans ce parcours.  Nos qualités d’écoute, d’empathie, d’ouverture et de modestie nous ont permis de capter cette faille dans les besoins de formation non comblés des entrepreneurs.

Pour ma part, en m’affirmant je risquais tout.   Mon poste à la direction du comité pédagogique, mon poste de directrice générale, et peut-être même, de membre du conseil d’administration…  

Je suis restée en poste, il a quitté le comité pédagogique, et nous avons réussi notre pari, certes risqué. J’ai dû conjuguer avec des interventions de tous genres à chaque séance de CA, jusqu’à ce que l’entreprise atteigne un certain succès, jusqu’à ce que l’idée fasse ses preuves.  Aujourd’hui, je pourrais même penser qu’il est aussi fier que moi, de notre école.

10 ans plus tard, on ne voit que le succès de cette innovation. Plus personne ne se souvient de ce moment charnière. Moi oui.  C’était tout un accouchement!   Qui a dit que l’intrapreneuriat se faisait sans éclats!?

Voici mes principaux apprentissages:

1- On a tendance à prendre ce genre de débat comme des combats homme femme.  Personnellement, je déteste la victimisation féminine.  Cela dit, même avec du recul, je relis l’histoire et je pense que la réplique était tout à fait inappropriée, irrespectueuse. Mais bon, y’a toutes sortes de comportements inacceptables en affaires…

2- Tout comme il y a une grande variétés de personnalité en interaction dans des processus d’innovation.  C’est un réel défi de leadership d’aller chercher la richesse de la diversité des opinions.  Mais c’est un coup d’épée dans l’eau de débattre sur des croyances profondes.  Il faut trancher.  Et ça peut faire mal!

3- Quand on a la conviction profonde, inébranlable que notre vision, aussi folle soit elle, c’est la bonne alors, il faut y aller.  Coûte que coûte.  C’est l’essence même de l’entrepreneuriat.  Le risque est toutefois différent avec le chapeau de l’intrapreneur.  Tu risques d’abord un emploi, puis, puis le succès de l’entreprise collective.

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À propos de Rouge Canari

Rouge Canari, vise le développement de l’entrepreneuriat sous toutes ses formes, par la création et le déploiement d’études, d’analyses et de stratégies visant les entrepreneurs. L’entreprise compte parmi ses clients/partenaires connus le MESI, la Fondation des familles en affaires, Femmessor, l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), la Fondation de l’entrepreneurship, des groupes privés et les grandes corporations dans les domaines des services professionnels et bancaires. Rouge Canari bénéficie de collaborateurs/collaboratrices de longue date d’expertises variées. C’est une équipe passionnée et expérimentée qui prend vos projets d’entrepreneuriat en main.

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