Le modèle beauceron de communauté entrepreneuriale

28 septembre 2018

Ce que j’ai retenu des entrepreneurs beaucerons

Il y a de cela quelques années, j’ai eu l’occasion de publier un article sur la communauté beauceronne dans le journal Les affaires. Alors en poste à l’École d’entrepreneurship de Beauce (EEB), j’ai constaté, de l’intérieur, plusieurs particularités à partager. Je me permets de vous le partager à nouveau dans le contexte du lancement de notre ouvrage sur le modèle de communauté entrepreneuriale.

Mais qu’est-ce qu’il y a dans l’eau de la région pour que l’entrepreneuriat soit si fort ? 

Après avoir passé 20 ans à compiler des statistiques et à imaginer mille et une façons de stimuler la culture entrepreneuriale du Québec, je dois avouer que ma rencontre avec Marc Dutil, président-directeur général de Canam, fut déterminante. Elle marquait le début de cette grande aventure entrepreneuriale menant à la création de la première école pour entrepreneur devenue la référence au Québec. Mais qu’est-ce qu’il y a dans l’eau de cette région pour que l’entrepreneuriat soit si fort ?

La culture entrepreneuriale des Beaucerons : mythique, historique

Les Beaucerons, ces entrepreneurs

Les Beaucerons ont compris depuis longtemps que les emplois pour leurs habitants sont créés par eux-mêmes. Je ne sais pas combien de fois je l’ai entendu de la bouche des acteurs du terrain. Dans mon jargon, je dirais que cette vision du développement économique est partagée par les décideurs locaux, la définition même d’une communauté entrepreneuriale.

Cette croyance se transpose dans un profond besoin de contrôler sa destinée, de garder le contrôle de ses entreprises sur le territoire. C’est la meilleure façon d’assurer des décisions respectueuses des travailleurs, des fournisseurs et compétiteurs locaux et des habitants. C’est une dominante culturelle forte qui se transpose aussi sur le plan individuel. Si mon voisin peut être un P.D.G. alors je le peux aussi. De la même façon, si nos voisins sont capables de produire tels ou tels biens, alors nous le pouvons aussi. Besoin de contrôle et d’autonomie!

Risque, ambition et confiance!

Vient ensuite une capacité tout aussi individuelle et collective de conjuguer avec le risque et avec des éléments flous qui s’inscrivent toutefois dans une vision à long terme bien claire, affirmée et comprise de tous. Dans le cas du projet d’EEB, celle du président fondateur de l’école, Marc Dutil, était claire : « La ville de Saint-Georges peut devenir le « Princeton » de l’entrepreneurship avec la création d’une école de haut niveau pour former la relève entrepreneuriale et accélérer le développement des entrepreneurs. » — La ville de Princeton accueille l’une des plus grandes universités au monde et elle compte une population de moins de 20 000 habitants. Il n’est pas question ici d’un projet peu ambitieux. J’ai déjà vu des projets anéantis par le simple dénigrement public de certains médias ou groupes d’intérêt. Des villes où il est interdit de voir grand et d’être ambitieux. Les Beaucerons croient en eux. Ils croient en leurs capacités de faire arriver les choses, les petites comme les grandes.

L’esprit de la communauté pousse le vent dans la direction de l’entrepreneuriat et de l’action – pas du statu quo

Évidemment, un tel projet ne se réalise pas seul. Depuis plus de 10 ans, jour après jour, des gens qui ont envie de se greffer au projet. J’ai pu constater à quel point l’entraide et la solidarité sont des valeurs importantes chez les Beaucerons. De plus, ce désir de collaborer vient spontanément comme un réflexe. C’est une forme de mentorat collectif, de coaching de groupe. Un jeune entrepreneur qui se lance en affaires en Beauce trouvera des conseils, un réseau, une écoute et sans doute des anges financiers. L’esprit de la communauté pousse le vent dans la direction de l’entrepreneuriat et de l’action – pas du statu quo.

Ce jeune entrepreneur puisera dans sa communauté de la fierté à entreprendre et à oser. C’est la fierté d’être entrepreneur dans l’âme et d’avoir la capacité de livrer dans l’action qui soudent les uns aux autres. Les entrepreneurs beaucerons sont fiers d’être entrepreneurs beaucerons, fiers du succès des autres comme du leur.

Cette fierté trouve souvent ses racines dans leur histoire familiale.

Entrepreneurs de génération en génération. J’ai rarement rencontré une telle fierté dans un clan familial. L’esprit de famille est partout, avec les défauts de ses qualités. Si tes grands-parents ont gaffé… possible que cela te revienne sur le nez. Ce n’est pas parfait, mais au bout du compte on privilégie l’harmonie au conflit parce que demain matin, tous se retrouvent à la même table pour le déjeuner, à la même épicerie ou au même party. Cet esprit de famille induit autre chose de plus fondamental : Il y a dans cette région une responsabilité intergénérationnelle; ce souci de transmettre ses forces, son expérience à la prochaine génération. 

Enfin, n’oublions pas que c’est surtout le travail qui figure comme la clé de la réussite de l’entrepreneuriat beauceron. C’est plus qu’une valeur forte et partagée. C’est la condition de base de la réussite : l’effort et l’action.

Quelle est la recette de ce miracle beauceron ? La vision, l’entraide, la confiance, le travail, la résilience, l’audace, l’esprit de famille et le besoin de garder le contrôle de ses entreprises pour préserver les valeurs qui les habitent.

Peut-on transposer ce modèle beauceron dans d’autres régions du Québec ? Assurément, mais il faudra être patient. On peut facilement avancer que les spécialistes du développement régional tentent l’aventure depuis plus de trente ans. Des valeurs aussi ancrées dans les gènes prennent des décennies à s’imprégner.  

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