Ce processus qui tue l’intelligence et le client

11 octobre 2018

Comme chaque année, j’ai eu à monter mon dossier pour avoir droit à une vignette de stationnement ; le droit de le renouveler en fait. N’étant pas résidente à temps plein à Montréal, mon dossier comporte des particularités.  

Il faut savoir que le processus d’approbation des dossiers est basé sur le nombre de correspondances adressées à notre résidence. C’est le moyen utilisé pour prouver qu’on y habite. Or je n’y reçois rien, car je ne peux pas assurer le suivi du courrier. (En soi, c’est totalement out les enveloppes par la poste, non ?)

Tous les ans, je réexplique le tout poliment à la personne devant moi en tentant d’avoir le plus de papiers possible pour démontrer ma situation. Toutefois, c’est immanquable. Je sors en furie parce que je n’ai pas les bons papiers exigés. Cette année, c’était non négociable dans mon esprit que je reparte avec mon permis de stationnement.  

J’entre dans le local et il n’y a personne sauf quelques employés. D’un pas décidé, je m’avance vers le premier qui lève les yeux de son ordinateur. Au contact visuel, il me dit : « Vous devez prendre un numéro. » Ah ! Je retourne, prends 20 bonnes secondes à lire les 12 catégories à choisir puis, j’obtiens mon numéro. À l’appel de mon numéro, « Numéro 13 », je prends place au comptoir de l’un d’eux. Ça sent déjà le service personnalisé !

Deviner quoi ? Je n’avais pas encore les bons papiers ! D’ailleurs, l’employée devant moi m’affirmait fièrement : « Non, ce ne sont pas les bons papiers, mais vous savez qu’à force de revirer les gens, ceux-ci finissent par comprendre… » J’en ai conclu qu’elle observait positivement que c’était moins pire cette année. Nous commençons à faire intégrer le processus. « Il y a moins de clients qui repartent frustrés. »  Eh bien, je pense que cela a été l’élément déclencheur. Dans mes souvenirs et avant de réellement me fâcher, j’ai pris une grande respiration et j’ai d’abord tenté de récapituler avec elle puis de la supplier de juger d’elle-même la situation. Sans succès, je suis repartie sans ma vignette.

Ce qui me frustre, c’est de voir l’employée devant moi ne pas être capable d’utiliser son intelligence. Elle devait répondre aux cadres imposés sans utiliser son jugement et me retourner chez moi faire des devoirs pour répondre aux exigences du processus sans nuance.

En sortant, je me suis dirigée directement au bureau des plaintes. « J’aimerais parler au gestionnaire. » Je ne retournerai certainement pas chez moi faire un changement d’adresse pour me conformer. Il y a la conformité et l’absurdité. De toute évidence, il y a un gestionnaire dans cette entreprise qui n’a pas d’allure. Je feel pour le rencontrer. « C’est au cinquième étage. » Puis, ne sachant pas trop quoi faire avec moi au cinquième étage, on me redirige… au local/bocal de départ.

Cette fois, je ne prends PAS de numéros. Après 30 minutes d’attente, on me reçoit dans le bureau ouvert juste à côté de l’employée fière de m’avoir reviré… Encore un bon signe de non-jugement, me suis-je dit !

La gestionnaire tente de me convaincre que son processus est bon. « Nous gérons 14 000 dossiers de vignettes, nous nous devons de suivre le processus. »

« Oui, mais Madame quand une grande partie de vos clients sont en colère en sortant ; on ne peut pas parler d’un bon service client. Est-ce le processus qui est important ou le client ? »  

À ce moment-là, je l’ai sentie ébranlée… Elle soupire, puis commence à taper à l’ordinateur pour trouver mon dossier complet et informatisé sur trois ans.

En voyant le tout, je ne peux m’empêcher de réagir : « C’est informatisé en plus ! Vous avez toute mon histoire sous les yeux et vous tenez quand même à me retourner chez nous. Vous avez tout pour prendre une décision simple et pleine de sens et vous voulez encore que je sois by the book avec votre processus ? » Je me sens réellement prise en otage dans la maison des fous. 

Écœurer 14 000 personnes pour quelques idiots qui tentent de frauder le système, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Sur 14 000 personnes, combien peut-on estimer de bandits ? Peut-être 1 % ou 2 % ? Le bandit a-t-il une, deux, voire trois voitures. Faire de la contrebande de vignettes, c’est un marché ça ? Non, mais tsé ?  

Et s’il y a 1 % des gens (140 personnes) qui n’ont pas droit à une vignette, qui la reçoivent quand même, quelles sont les conséquences ? Sérieusement ? À première vue, vous pourriez réduire votre processus et sauver facilement 25 % de vos frais.

Est-ce une situation normale, acceptable ou même souhaitable ? Non, nous mettons en place des processus pour gérer les exceptions et nous abusons de tous nos bons clients pour rien. Quand les imbéciles gagnent, ça donne des entreprises d’imbéciles.

De façon rationnelle, combien coûtent ce système en temps, en argent, en réunion, en salaires, en réflexion de gestion, plus archaïque encore, en timbres ? Est-ce qu’un comptable pourrait faire l’analyse des coûts et des bénéfices ? Vite, ça urge !!

Elle finit par me donner la vignette en prenant bien soin de me faire la morale sur le fait que j’ai insulté son employée. Et moi, ne vois-tu pas à quel point je suis insultée ? Je ne peux pas m’empêcher de répliquer qu’elle devrait permettre à son personnel d’utiliser leur jugement.

Devant nous, il y a tous les papiers, bons et moins bons, et ma fameuse vignette. J’en ai presque le souffle coupé, je ne bouge plus en attendant qu’elle les ramasse pour les classer. Ils sont tellement importants ! J’y suis presque…

« C’est fini ? Vous ne les ramassez pas ? », lui dis-je.

«Non, c’est juste pour nous assurer de la conformité. Vous pouvez les reprendre. »

Je me mets à rire (vraiment trop) fort ! En mettant fermement la main sur MA vignette.

« C’est encore pire que ce que je pensais ! »

Avez-vous déjà vécu des situations similaires ? Qu’elles sont ces phrases qui vous rebutent en tant qu’entrepreneurs ? Comment éteindre la capacité de jugement et l’esprit d’entreprise auprès de ses employés ? Comment en arriver à faire fuir les clients ?

Les processus servent les gestionnaires, mais pas les clients.

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4 Comments
  1. Annie Bergevin
    7 novembre 2018Répondre

    Nathaly, j'ai lu cet article avec tellement de fierté.. et de rire! Je t'imaginais tellement dans la situation!!! Bravo d'avoir tenté de "shaker" les systèmes archaïques!!! Bravo pour ta vignette :?

  2. J'adore Nathaly, j'ai eu cette discussion ce matin avec ma directrice exécutive. vraiment à point comme timing. Merci pour ce petit divertissement.

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