Stimuler l’entrepreneuriat : pour qui? Pourquoi?

27 novembre 2017

J’ai longtemps étudié et j’avais très peu d’options en 1990. Le taux de chômage au Saguenay était le plus élevé au Canada; les opportunités étaient limitées avec un bac en économie. Sauf peut-être continuer d’étudier et de réfléchir sur l’économie si mal en point de ma région. 

Le début d’une aventure

C’est pourquoi j’ai poursuivi mes études en économie. En 1995, j’ai fait la rencontre d’un mentor, Marc-Urbain Proulx, grâce à qui j’ai découvert l’entrepreneuriat. C’était pourtant un mot nouveau à l’époque, mais aussi nouveau pouvait-il être, sa déclinaison m’était tout à fait familière, car mon père étant lui-même entrepreneur. Un entrepreneur dans une région de grandes entreprises, qui ne dénombre que très peu d’entrepreneurs. De nos échanges sont apparues les questions qui allaient m’habiter longtemps. Pourquoi y’a-t-il des régions qui vont bien économiquement parlant et d’autres où ça va mal ? Et pourquoi y’a-t-il des régions où l’entrepreneuriat, alias mon père, est valorisé et d’autres pas du tout ? Et si ça va moyen en entrepreneuriat dans une région, est-ce que ça se change ? En d’autres mots, peut-on stimuler l’entrepreneuriat ?

Sans trop le savoir, je commençais ma carrière en entrepreneuriat.

Qu’est-ce que c’est l’entrepreneuriat, et est-ce que ça se mesure?

Par où commencer quand personne ne connait le mot ? L’économiste a choisi de le définir et de le mesurer. Entrepreneurship ou entrepreneuriat ou entreprenariat. Je me suis même promis à moi-même, que si l’entrepreneuriat pouvait avoir un impact sur l’économie, et que si j’avais la capacité de le mesurer, alors je rêvais de pouvoir influencer le Premier ministre du Québec pour le convaincre d’une stratégie en entrepreneuriat. Quelques années plus tard,  je rejoignais le groupe mondial du Global Entrepreneurship Monitor (GEM), édition 1999, que j’allais diriger au Canada jusqu’en 2006. En 2008, à titre de VP de la Fondation de l’entrepreneurship, nous avons créé un nouvel instrument de mesure, l’Indice entrepreneurial (Proulx et Riverin 2009). Cet outil est notamment propulsé par la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui en fait son fer de lance! 

Est-ce que les mesures peuvent influencer les politiques ?

À cette époque, il y avait une légende urbaine dans les corridors économique et politique : le Québec est une terre de PME et d’entrepreneurs. Quand nous avons commencé à mesurer le tout et à se comparer au reste du Canada, et quand les résultats communiqués se sont avérés totalement à l’opposé, nous nous sommes dit que l’étude n’était pas bonne. Toutefois, après trois ans à mesurer la même chose, avec les mêmes outils, et à obtenir les mêmes résultats, nous avons commencé à attirer un peu l’attention. Puis, la mesure a fini par outiller les gens qui voyaient les mêmes choses et à fournir des arguments plus rationnels pour les décideurs. On ne peut améliorer ce que l’on ne mesure pas. Parallèlement, grâce à quelques auteurs précurseurs en entrepreneuriat (on pense à Paul-Arthur Fortin, Louis-Jacques Filion, Pierre-André Julien et Yvon Gasse), l’entrepreneuriat commençait timidement à émerger comme une solution socio-économique. Il faut dire que le boom des start-ups technos (pensons à Nurun et à Alexandre Taillefer) suscitait tellement d’émerveillement. Il fallait le poursuivre!

Que fait-on pour améliorer l’entrepreneuriat ?

La Fondation de l’entrepreneurship jouait alors un rôle majeur dans la promotion de la culture entrepreneuriale. Sous la direction de Paul-Arthur Fortin ou de Germain Desbiens, elle était fédératrice des acteurs économiques autour de la question de l’entrepreneuriat. Je me rappelle avoir présenté les résultats de l’édition du GEM 2000 devant tout ce groupe! Deux ans plus tard, j’ai eu l’opportunité de présenter le portrait de l’entrepreneuriat devant Jean Charest et son équipe. Check pour la promesse faite à moi-même!

À cette période, plusieurs initiatives ont vu le jour telles que le Concours québécois en entrepreneuriat maintenant appelé « Ose entreprendre » (Suzie Harvey et Natacha Jean), le Mentorat d’affaires (Germain Desbiens), l’ACEE (Micheline Locas puis Pierre Touzel), le Centre de vigie sur la culture entrepreneuriale, les écoles environnementales et entrepreneuriales (Claude Ruel), et j’en passe. Toutes ces initiatives étaient marginales, sous-financées et à chaque année, c’était un parcours de longue haleine pour convaincre de leur pertinence et obtenir un maigre financement. Cependant, pour renverser la vapeur en entrepreneuriat, il en fallait bien davantage : de vraies stratégies d’envergure et coordonnées.

Est-ce qu’une intervention massive peut changer la culture entrepreneuriale ?

Selon le Riverin (GEM, 2002), le constat était que les jeunes du Québec avaient 10 fois moins l’intention d’entreprendre que ceux du reste du Canada. Un vrai problème, bien mesurer, ça mobilise.  Régis Labeaume était le nouveau PDG de la Fondation et il en a fait son moto. Et tous les acteurs passionnés d’entrepreneuriat ont poussé la machine pour qu’une première grande stratégie gouvernementale émerge.  

En 2004, on a applaudi la première stratégie en entrepreneuriat jeunesse initié par Jean Charest lui-même. Pendant presque 10 ans, des efforts concertés et soutenus furent entrepris pour encourager les jeunes à choisir la carrière entrepreneuriale.  C’était un exercice d’éducation et de valorisation important. Un nouveau métier avait été initié, celui d’agent de sensibilisation à l’entrepreneuriat jeunesse. Ces jeunes occupent aujourd’hui des postes d’influence en entrepreneuriat aux quatre coins du Québec!  Les Centres Locaux de Développement (CLD) et Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC), se sont activés, alignés! Des gens ont travaillé très fort pour fédérer tous les acteurs: Jean-Paul Riverin, Hélène Deslauriers, Gino Reeves, Catherine Feremback, Daniel Thouin, Jean Carrier, Denis Morin, Patrice Gagnon, Pierre Drapeau… Le fédéral aussi s’est jadis engagé en entrepreneuriat, massivement.

Les statistiques se sont montrées défavorables années après années mais finalement le vent a fini par tourner…   

Si bien qu’en 2017, on ne compte plus les organisations ou les initiatives qui visent à promouvoir l’entrepreneuriat. Les entrepreneurs passent même à la TV! Ils sont devenus les agents de sensibilisation à l’entrepreneuriat… et les acteurs, les précurseurs ne peuvent que se réjouir de tout ce chemin parcouru. 

On vient de lancer le GEM 2017 (Étienne St-Jean et Marc Duhamel de l’UQTR) puis l’Indice entrepreneurial 2017 et les statistiques sont nettement plus positives!  Les jeunes québécois ont dépassé les jeunes du reste du Canada en matière d’intentions d’entreprendre. Objectifs surpassés!

Constats

    • On n’améliore pas ce que l’on ne mesure pas.  
    • Les mesures nous ont permis de définir des objectifs communs pour changer les portraits pour le mieux.
    • Des stratégies d’impact en entrepreneuriat donnent des résultats.
    • Ces stratégies doivent perdurer dans le temps pour vraiment porter fruit.

Nous avons collectivement changé la tendance pour nos jeunes qui souhaitent maintenant entreprendre.

En conclusion, grâce à plusieurs acteurs au Québec, il est maintenant évident que l’entrepreneuriat joue un rôle majeur sur l’économie et que nos entrepreneurs sont les catalyseurs de changement. Il faudra sans cesse renouveler nos stratégies, mais force est de constater que lorsque tout le monde rame dans la même direction, il est possible de « revirer le bateau de bord »!

Cela dit, est-ce que notre vision du futur de l’entrepreneuriat est claire?  Que souhaitons-nous accomplir dans les 10 prochaines années?

Pour ma part, j’espère qu’après un parcours de 35 ans en affaires, mon père est fier d’être un entrepreneur.